Comportant un volet purement historiographique et un volet plus anthropologique avec des enquêtes de terrain, cette recherche se veut une plongée dans la vie d’une communauté allemande de province, de son émancipation légale à sa destruction sous le nazisme, que l’analyse des logiques qui président à sa mise en récit autour des années 2000. La communauté rurale de Schmalkalden, tiraillée entre Hesse et Thuringe, connaît en effet des péripéties qui se situent fort loin du conflit entre la réforme et l’orthodoxie, qu’il s’agisse de ses relations houleuses avec les employés communautaires ou de celles, ambiguës, avec le rabbin de la province. Elle prie selon « l’ancien rite » ; certaines coutumes, comme l’usage du bain rituel, y tombent en déshérence ; il s’y manifeste des phénomènes nouveaux, comme la philanthropie. Elle sera l’une des dernières communautés du pays à rénover sa synagogue avant 1933. Située sur le territoire de ce qui allait devenir l’Allemagne de l’est, non loin du camp de Buchenwald, les événements qui se sont déroulés à Schmalkalden entre 1933 et 1945 y font l’objet d’un traitement particulier dès la fin du régime nazi. L’examen des documents datant de l’après-guerre permettent par ailleurs de mettre en évidence qu’une politique d’occultation du génocide ne s’est formée que progressivement et différentiellement dans les deux Allemagne.
À partir d’une micro-histoire, il s’agit donc de rendre compte de la spécificité du judaïsme rural, mais aussi d’envisager une petite communauté dans son contexte provincial et national en tant que paradigme sans cesse confronté avec l’histoire des juifs d’Allemagne, de mettre au jour les modalités de la construction de l’objet de recherche « juifs allemands », et surtout les enjeux différentiels des « commanditaires » et les structures narratives mises en oeuvre pour élaborer leur expérience collective.
Collection de la Revue des Études Juives, 45