Table ronde PEER “(In)visibiliser les faits religieux dans l’espace” (Paris, 11-12 mai 2023)

Après un premier évènement en mars 2022 à Nice proposant une lecture spatiale, comparatiste et interdisciplinaire de la conversion religieuse, le collectif du Programme Espace et Religieux (PEER) organise sa deuxième table ronde les 11 et 12 mai 2023 à Paris. Elle souhaite développer une réflexion sur l’acte d’(in)visibiliser les faits religieux dans l’espace. L’espace est compris comme une surface terrestre d’échelle variable sur laquelle les sociétés s’organisent et qu’elles façonnent en fonction de leurs représentations. Il peut également être un espace idéel, conceptualisé par les individus sans qu’il ait une réalité physique. Rendre visible ou invisible des éléments matériels spatialisés renvoie d’abord à l’action de les exposer ou de les soustraire au regard, mais aussi aux autres sens et à la perception kinesthésique. Les faits religieux et leurs composantes sont évidemment concernés par ce phénomène : qu’il s’agisse de signes, d’objets, de personnes ou de divinités, ceux-là peuvent être rendus visibles ou invisibles, sans exclure toutes les nuances intermédiaires, au regard des multiples « régimes de visibilité » (Lussault, 2003) des sociétés. L’étude de l’(in)visibilisation des faits religieux doit d’une part intégrer les dynamiques d’un état à un autre, déterminés par les contextes et les stratégies, d’autre part être enrichie par la notion de lisibilité qui suppose des décodages différents d’un même signe dans l’espace (Endelstein, 2015). Par ailleurs, la synesthésie et la multisensorialité (De Vignemont, 2014) peuvent être prises en compte en raison de leur importance dans la relation corps-espace.

Les questionnements sur les processus de visibilité ou d’invisibilité prennent une place croissante dans la recherche française en sciences humaines et sociales (journées d’étude en 2022 du TELEMMe et du CIHAM), mais ces notions ont été moins abordées dans le cadre de l’approche spatiale des faits religieux (notons toutefois le PCR VISMIN depuis 2021). Cette table ronde souhaite ainsi promouvoir et développer cette démarche, en étudiant la dialectique entre désir ou besoin de visibilité et d’invisibilisation des faits religieux dans l’espace, et notamment le passage de l’un à l’autre (espace liminal). Nous encourageons la comparaison entre différentes périodes et aires géographiques : tous les systèmes religieux peuvent être envisagés (monothéismes, polythéismes et autres expressions spirituelles), au sein d’un espace flexible. Aucune limite géographique ou historique (de la Préhistoire à nos jours) n’est imposée. Trois axes, non exclusifs les uns des autres, sont proposés :

Axe 1 : le sacré, un invisible saisissable en des lieux ?

Le sacré peut être considéré comme une des choses les plus invisibles qu’il y ait (Eco, 2014) et comme « la catégorie de référence pour qualifier le rapport de l’homme à l’invisible et au surnaturel » (Blin, 2020). Les entités surnaturelles peuvent être révélées à la perception par différents médiums, notamment des paroles, des gestes, des sons, des odeurs ou encore des représentations (Palazzo, 2014 ; Méhu, 2013 ; 2016). Les groupes religieux et les individus peuvent alors tenter de rendre intelligible et de territorialiser ce sacré dans l’espace ou inversement. Les divinités peuvent ainsi être associées à des espaces naturels (divinités élémentaires) ou anthropiques (productions monumentales ou non) qui constituent dès lors des points sensibles de rencontre. Néanmoins, le sacré n’est pas rendu visible de manière quotidienne dans toutes les sociétés, il ne peut l’être qu’en des moments exceptionnels ou ponctuels, à l’occasion de certains rituels, ou réservé à certaines personnes au statut particulier. Allant plus loin, l’entité sacrée peut devenir incompréhensible voire invisible dans les consciences et, de facto, matériellement, lorsque son culte est abandonné et les lieux sacrés sont fermés, modifiés, détruits, et les objets de culte endommagés ou détournés. Enfin, il est possible d’analyser les lieux mythologiques ou spirituels, qui peuvent être terrestres, identifiés entre autres par la toponymie ou les monuments, ou immatériels, tels que l’au-delà, ces derniers étant parfois retranscrits dans les productions humaines (Stépanoff, 2019).

Axe 2 : (in)visibilisation des croyants dans l’espace.

Le divin n’est pas le seul à être « (in)visibilisé ». Nous proposons ici d’analyser d’un point de vue spatial les différents « régimes de visibilité » caractérisant un ou plusieurs groupes religieux. Il s’agit d’étudier les stratégies et les lieux d’exhibition ou de dissimulation, subies ou choisies, des croyants, qui varient en fonction du contexte. D’une part, les pouvoirs peuvent choisir de marginaliser, voire de ségréguer, des groupes religieux en modifiant leur statut de visibilité, avec la création de ghettos par exemple. D’autre part, la matérialisation des frontières culturelles peut contribuer à la génération de frontières socio-spatiales et à l’auto-réalisation de « quartiers » refermés sur eux-mêmes, tels que des quartiers ethniques ayant une appartenance religieuse commune. À l’inverse, les croyants peuvent également sortir de leur espace cultuel formel pour se rendre présents dans l’espace public en se l’appropriant et en lui donnant une fonction nouvelle par le biais de pratiques religieuses : caractère performatif des processions religieuses (Gvozdeva, Velten, 2011) ou manifestations culturelles (Salzbrunn, 2019). Il est possible que les signes échappent à ceux qui les réalisent ou les portent dans l’espace lorsqu’ils sont mésinterprétés par les autres, soulevant des problèmes de lisibilité. Par ailleurs, il existe également des désirs de visibilité ou d’invisibilité à l’échelle des individus. Dans le second cas, ceux-ci peuvent être associés à des stratégies de survie ou à des logiques d’adaptation face à des contraintes socio-spatiales, ces dernières étant particulièrement étudiées par les géographes (Dejean, 2020). De manière générale, le lieu dans lequel le groupe ou l’individu se trouve – privé, public ou virtuel (Endelstein, Ryan, 2013) – peut sensiblement influencer les dynamiques du visible à l’invisible et vice versa. 

Axe 3 : les chercheurs face à la spatialité de l’(in)visible religieux.

Ce dernier axe invite à questionner l’approche singulière du chercheur qui étudie les faits religieux, tant d’un point de vue historiographique, qu’épistémologique et heuristique. Les données permettant de saisir les croyances sont davantage repérables lorsqu’elles sont par nature tangibles, très souvent visibles, marginalisant de l’historiographie l’analyse d’autres formes d’expressions religieuses. C’est notamment le cas de l’étude des paysages multisensoriels (Caseau Chevallier, Neri, 2021 ; Palazzo, 2014) ou des premiers cimetières protestants en France dont les pratiques funéraires sont difficilement identifiables par les archéologues (Souquet-Leroy, Buquet-Marcon, 2015). De plus, il faut considérer la qualité des données mobilisées qui peut témoigner d’une réalité dégradée, incomplète, de manière plus ou moins volontaire ou par l’action du temps, ce qui est susceptible de créer une image déformée et incomplète de la réalité des croyances, particulièrement dans les sciences historiques. Le chercheur peut en outre manipuler des données en fonction des choix scientifiques et du contexte socio-culturel et géopolitique dans lequel il vit. De plus, lui-même est sujet à des biais de lisibilité du fait religieux qu’il étudie et dont il ne partage pas forcément les codes. D’un point de vue méthodologique, le chercheur peut tenter d’analyser l’invisible au moyen de différentes stratégies empiriques, avec la prospection, la démarche participative, l’embodied research ou encore l’archéologie expérimentale. En outre, les outils numériques et cartographiques ont enrichi les spatial studies depuis les années 1990. Ils ne sont toutefois pas exempts de questionnement dans notre perception et reconstitution de l’espace, notamment dans le cadre de la réinterprétation du vide cartographique, qui ne rend pas nécessairement compte d’une absence du religieux, mais témoigne plutôt de sa nature éphémère (Journées du LabEx DynamiTe « Absence(s) – de l’invisible à l’impensé », 26 septembre 2021 ; Campana, 2018).

Modalités de soumission

Cette journée d’étude entend décloisonner la réflexion en invitant des chercheurs, jeunes ou confirmés, de tout horizon disciplinaire au sein des Lettres, Arts, Sciences humaines et sociales, à proposer une communication. Chaque participant sera invité à expliciter ses démarches et ses modèles, afin de faciliter le dialogue entre disciplines. Les propositions de communication (résumé et titre) ne devront pas dépasser 500 mots et seront accompagnées de renseignements (situation institutionnelle, domaine de recherche).

Nous attendons vos propositions par mail à l’adresse suivante : peer.collectif@gmail.com avant le vendredi 23 décembre 2022.

Comité d’organisation
  • Manon Banoun, doctorante en archéologie médiévale, ArScAn, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
  • Angela Baranes, doctorante en histoire et archéologie médiévales, CEPAM, Université Côte d’Azur et ArScAn, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
  • Alessandro Campeggiani, doctorant en Danse – Arts du spectacle, CTEL, Université Côte d’Azur
  • Evdokia Kostoudi, doctorante en archéologie byzantine et numérique, Trajectoires, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Comité scientifique
  • Manon Banoun, doctorante en archéologie médiévale, ArScAn, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
  • Angela Baranes, doctorante en histoire et archéologie médiévales, CEPAM, Université Côte d’Azur et ArScAn, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
  • Cécile Buquet-Marcon, archéo-anthropologue, Inrap, Éco-anthropologie (UMR 7206), équipe ABBA
  • Alessandro Campeggiani, doctorant en Danse – Arts du spectacle, CTEL, Université Côte d’Azur
  • Frédéric Dejean, professeur au Département de sciences des religions, Université du Québec à Montréal
  • Evdokia Kostoudi, doctorante en archéologie byzantine et numérique, Trajectoires, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
  • Marina Nordera, professeure en Arts du spectacle, historienne de la danse, CTEL, Université Côte d’Azur
  • Monika Salzbrunn, professeure de Religions, Migration, Arts, Institut de sciences sociales des religions, Université de Lausanne
Bibliographie indicative
  • Olivier Blin (dir.), « Pour une archéologie du fait religieux », Les Nouvelles de l’Archéologie, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2020. 
  • Michael Bull, Jon P. Mitchell, RitualPerformance and the Senses, Londres, Routledge, 2015.
  • Stefano R. L. Campana, Mapping the Archaeological Continuum. Filling « Empty » Mediterranean Landscapes, Cham, Springer, 2018.
  • Béatrice Caseau Chevallier, Elisabetta Neri, Rituels religieux et sensorialité (Antiquité et Moyen Âge) : parcours de recherche, Milan, Silvana Editoriale, 2021.
  • Frédéric Dejean, « Visibilité et invisibilité des églises évangéliques et pentecôtistes issues de l’immigration : une quête de reconnaissance », e-mingrinter, n° 4, 2009, p. 37-47.
  • Frédéric Dejean, « It was a cinema, it is now the house of God! Les Églises sans église ou le renversement des contraintes spatiales en opportunités », Annales de géographie, n° 731, vol. 1, 2020, p. 113-133.
  • Charles Delattre (dir.), Objets sacrés, objets magiques de l’Antiquité au Moyen Âge, Paris, Picard, 2007.
  • Gaëlle Deschodt, Aspects du visible et de l’invisible dans la religion grecque, thèse de doctorat, sous la direction de Pauline Schmitt-Pantel et François Lissarrague, Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2014.
  • Frédérique de Vignemont, « A Multimodal Conception of Bodily Awareness », Mind, n° 492, 2014, p. 989-1020.
  • Umberto Eco, « Rappresentazioni del sacro », California Italian Studies, n° 5, vol. 1, 2014.
  • Lucine Endelstein, Louise Ryan, « Dressing Religious Bodies in Public Spaces. Gender, Clothing and Negotiation of Stigma among Jews in Paris and Muslims in London », Integrative Psychological and Behavioral Science, Springer, 2013, n° 47, vol. 2, p. 294-264.
  • Lucine Endelstein, « Lisibilité du religieux et qualification de l’espace. L’exemple du judaïsme dans le 19e arrondissement de Paris », ESO Travaux et documents, n° 23, septembre 2005, p. 71-76. 
  • Katja Gvozdeva, Hans Rudolf Velten, Medialität der Prozession. Performanz ritueller Bewegung in Texten und Bildern der Vormoderne, Heidelberg, Universitätsverlag Winter (Germanisch-Romanische Monatsschrift, Beiheft 39), 2011.
  • Michel Lussault, « Visibilité (régime de) », in Jacques Lévy, Michel Lussault, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003.
  • Didier Méhu, « L’évidement de l’image ou la figuration de l’invisible corps du Christ (IXe–XIe siècle) », Images Re-vues, n. 11, 2013.
  • Didier Méhu, « L’onction, le voile et la vision : anthropologie du rituel de dédicace de l’église à l’époque romane », Codex aquilarensis, vol. 32, 2016, p. 83-109.
  • Éric Palazzo, L’invention chrétienne des cinq sens dans la liturgie et l’art au Moyen Age, Paris, Éditions du Cerf, 2014.
  • Monika Salzbrunn (dir.), L’islam (in)visible en ville. Appartenances et engagements dans l’espace urbain, Genève, Labor et Fides, 2019. 
  • Isabelle Souquet-Leroy, Cécile Buquet-Marcon, « La communauté protestante à l’époque moderne : Exemples du cimetière du Temple de Charenton à Saint-Maurice (XVIIe siècle) et du cimetière de l’hôpital protestant de La Rochelle (XVIIIe siècle) », Patrice Courtaud, Sacha Kacki, Thomas Romon (dir.), Cimetières et Identités, Ausonius Editions, Thanat’Os 3, 2015, p. 55-67. 
  • Charles Stépanoff, Voyager dans l’invisible. Techniques chamaniques de l’imagination, Paris, La Découverte, 2019.