« Être poète pour que vivent les hommes » (Peut-être, revue de l’Association des Amis de l’œuvre de Claude Vigée)

Date de tombée (deadline) : 31 Octobre 2024

« Être poète pour que vivent les hommes »

  Toujours reverdissant sur leur hautes ramures

depuis près de quatre-vingts ans, 

tous nos poèmes entrelacés rêvent d’être le murmure

d’une vaste souccah au clair de lune qui danse

la hora d’automne en plein vent :

pour le plaisir des vieux et des jeunes enfants

sa grande porte bat entre terre et planètes,

de jour comme de nuit ouverte à tout vivant ! (1) 

Claude Vigée (1921-2020) mentionne à plusieurs reprises ce vers d’Aragon, extrait du Crève-cœur : « J’empêche en respirant certaines gens de vivre ». S’il reconnaît la vérité que pouvait revêtir cette affirmation dans le contexte de la Résistance, il ne peut pour sa part se résoudre à convertir le vivant en mort, il n’éprouve pas « ce sentiment destructeur de soi et d’autrui » (2). Au contraire, « la mission première d’un poète digne de ce nom est de propager le sens et l’amour de la vie, en débusquant et en dénonçant partout ‒ si besoin est ‒ les œuvres perverses de la mort » (3). Il entend pour sa part « être poète pour que vivent les hommes » (4), répondant ainsi partiellement à l’interrogation de Hölderlin dans l’élégie Pain et vin (Brot und Wein, 1800-1801) : « … und wozu Dichter in dürftiger Zeit ? », qu’il formule à deux reprises dans le recueil Délivrance du souffle : « À quoi bon un poète en temps de pénurie ? » (5). Il en va donc, pour reprendre la belle formule proposée par Myriam Watthee-Delmotte, de « l’agir de la littérature » (6), appliquée ici à la poésie dans un contexte sensiblement différent, où la citation du Journal d’Antigone d’Henry Bauchau, mise en exergue par l’auteure, n’en conserve pas moins toute sa pertinence : « Dans le champ du malheur/ Planter une objection » (p. 11).

En s’appuyant sur la poésie et sur les écrits relatifs à l’art poétique de Claude Vigée, nous proposerons dans un premier temps d’analyser la façon dont il se fait à travers son travail d’écrivain et de traducteur un « passeur du vivant », ainsi que le souligne Sylvie Parizet dans les remerciements qu’elle adresse au poète dont elle célèbre, au tout début des Portes éclairées de la nuit, « la force de vie dont il ne cesse, avec autant d’intelligence que d’humour, d’être le « passeur » – en véritable Ivri » : « En effet, « pour cet écrivain, l’œuvre littéraire est au service d’une aventure qui la dépasse infiniment : transmettre la vie » (7). Où puise-t-il, à quelles sources, ces forces de vie qu’il entend infuser « malgré tout », en une période de manque et de déficit du vivant, à ses lecteurs et à ses auditeurs et aux générations à venir ? Comment, sous quelles conditions, s’effectue ce transfert ou, en d’autres termes, à quelles tentations, qui ont partie liée avec « les œuvres perverses de la mort », le poète, y compris Vigée lui-même, doit-il résister afin de s’acquitter de sa mission ? Et quelles sont tout aussi bien les conditions de la réception du poème ?

Un second volet, ouvert à l’analyse comparée, portera sur la lecture que fait Vigée, en particulier dans son œuvre d’essayiste et de critique, des autres poètes de la modernité, de ceux qui l’ont précédé en France (Vigny, Nerval, Mallarmé, Lautréamont, Baudelaire, Rimbaud, Valéry) ou en Allemagne (Goethe, Hölderlin, Rilke), de ses contemporains, qu’il les ait côtoyés ou non (Saint-John Perse, René Char, Benjamin Fondane, assassiné en 1944 à Auschwitz, Paul Celan, Yvan Goll ou Nelly Sachs), et de ses proches (Pierre Emmanuel, Adrien Finck, Henri Meschonnic). En quoi le parti pris du vivant qui est le sien oriente-t-il le regard qu’il porte sur eux, et en quoi a-t-il ou non pu déterminer ses choix de traducteur (on lui doit des traductions de Rilke, T. S. Eliot, Yvan Goll, Shirley Kaufman, David Rokeah, et une adaptation du russe de Daniel Steer) ?

Un troisième axe de réflexion invitera à se mettre à l’écoute des poètes d’aujourd’hui qui, dans la période de crise des valeurs, de violence accrue, de fanatisme et de guerres sur fond de recrudescence d’idéologies totalitaires que nous traversons, élèvent malgré tout leur voix, à l’instar de Claude Vigée, et sans nécessairement se réclamer de lui, « pour que vivent les hommes », afin de faire échec à la nuit, sans pour autant la nier. L’analyse portera ainsi sur leurs sources d’inspiration et sur les moyens qu’ils mettent en œuvre pour répondre à ce besoin, inhérent à l’humanité, « de symboliser par la parole » (8).  

Calendrier

Parution prévue au printemps 2025 

Date limite d’expédition des propositions : fin octobre 2024.

Examen des propositions : mi-novembre 2024.

Date limite d’envoi des contributions retenues : fin février 2025.

 Les propositions sont à expédier à : andree.lerousseau@univ-lille.fr ou lerousseau_andree@orange.fr

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(1)     Claude Vigée, « Vocation du poète », veille de Souccoth 5767, 5 octobre 2006, Chants de l’absence, dans Mon heure sur la terre (voir bibliographie), p. 775. 

(2)     Claude Vigée, Sylvie Parizet, Les Portes éclairées de la nuit (voir la bibliographie), p. 109. 

(3)     C. Vigée, Vivre à Jérusalem. Une voix dans le défilé, Paris, Nouvelle Cité, 1995, p. 55.

(4)     C. Vigée, Être poète pour que vivent les hommes (voir bibliographie). 

(5)     C. Vigée, Délivrance du souffle, dans Mon heure sur la terre, p. 475 et p. 496.

(6)     Myriam Watthee-Delmotte, Dépasser la mort. L’agir de la littérature, Actes Sud 2019. 

(7)     C. Vigée, S. Parizet, Les portes éclairées de la nuit, p. 6 et p. 8.

(8)     M. Watthee-Delmotte, Dépasser la mortop. cit., p. 9.