Les ghettos en Europe Centrale et Orientale : nouvelles perspectives spatiales et sociales

APPEL À COMMUNICATION

« Lorsqu’on évoque la Shoah », écrivait Dieter Pohl, « le mot “ghetto” apparaît parmi les termes clés » [Pohl dans Zarusky, 2010]. Pourtant, les ghettos ont reçu beaucoup moins d’attention de la part des chercheurs que les centres de mise à mort et les systèmes concentrationnaires. Malgré des avancées historiographiques certaines, ce constat est toujours d’actualité. Le premier obstacle à une analyse approfondie du ghetto semble résider dans sa définition même. Qu’est-ce qu’un ghetto ? Qu’est-ce qui le distingue d’autres structures spatiales d’enfermement ? Grâce aux communications qui seront proposées, ce colloque espère pouvoir historiciser et clarifier ce que recouvre l’appellation « ghetto » ou du moins dessiner une typologie de ces espaces.

D’après L’encyclopédie des Camps et Ghettos de l’USHMM, plus de 1 150 ghettos furent créés sous occupation nazie, de la Pologne aux territoires soviétiques, des pays baltes au sud de la Russie. Ces ghettos prirent des formes très variées (ouvert, fermé, semi-ouvert) et s’inscrivirent dans des espaces pluriels (quartiers, bâtiments du kolkhoze, porcheries, usines, écoles, granges, etc.). Les espaces de ghettoïsation connurent des temporalités d’existence diverses, allant de quelques semaines à plusieurs années. Ces disparités temporelles furent bien souvent liées aux fonctionnalités qu’ils étaient censés remplir aux yeux des dirigeants nazis. Ces multiples différences qui se jouent entre les différents espaces de ghettoïsation mettent en évidence le caractère décentralisé de la politique antijuive [Browning, 2007]. En dépit de ressemblances indiscutables, chaque ghetto demeura unique par la localité dans laquelle il s’inscrivait, l’histoire et la géographie de ce lieu [Cole, 2016].

Les « petits » ghettos à l’Est ont fait l’objet d’études approfondies moins nombreuses que les immenses ghettos instaurés dans le Generalgouvernement ou dans le Warthegau. En 2009, Dan Michman imputait cet écart à l’origine des auteurs, majoritairement des historiens juifs originaires de Pologne ou de Lituanie. Selon Michman, la focalisation du regard a contribué à produire « un modèle polonais » [Heymann dans Jablonka, Wieviorka, 2013] qui continue de prévaloir dans les études sur la Shoah [Miron, Shulhany, 2009]. Hormis la question de l’origine des chercheurs, il faut souligner que la focalisation de la recherche sur les « grands » espaces de ghettoïsation de l’espace polonais s’explique aussi par la documentation disponible. La densité et la richesse des sources mobilisables sur les ghettos de Varsovie ou de Łódź, par exemple ne se retrouvent pas nécessairement dans le cas des ghettos de taille inférieure et de population plus réduite institués dans les territoires de l’ancienne Union soviétique. Si les ghettos formés dans les espaces de l’Europe centrale et orientale ont été recensés par des chercheurs et leur histoire reconstituée dans les grandes lignes au sein de grandes encyclopédies éditées par l’USHMM et Yad Vashem, il demeure encore beaucoup à découvrir sur ces espaces si singuliers. Le colloque entend embrasser une diversité de territoires : Pologne, Bélarus, Ukraine, Pays Baltes, Russie, etc. Néanmoins, une attention particulière sera accordée aux ghettos institués dans des territoires sous-étudiés par l’historiographie à l’instar du Reichskommissariat Ukraine ou de la zone sous administration militaire du Bélarus ainsi qu’aux spécificités des « petits » ghettos. Le colloque accueillera aussi très favorablement les études proposant des approches transversales et comparatives. S’il existe des études de cas sur certains ghettos, rares sont les recherches qui s’efforcent d’envisager la ghettoïsation dans son ensemble, en interrogeant à la fois les logiques sous- jacentes, les singularités et les constantes de ces espaces. Ce colloque, en rassemblant des chercheurs internationaux issus de différents horizons disciplinaires, espère contribuer à une meilleure compréhension de la politique de ghettoïsation et plus largement de la destruction des Juifs d’Europe. Depuis une dizaine d’années, l’historiographie concernant les ghettos a été renouvelée par de nouveaux outils et méthodes de recherche [Knowles, Cole, Giordano, 2014]. L’analyse des documents contemporains (sources administratives, journaux intimes, correspondances) révèlent que ces espaces étaient poreux et que les interactions avec l’extérieur étaient constantes, qu’elles aient été encadrées (travaux forcés, permis de travail) ou clandestines (troc, évasions). Les recherches actuelles permettent d’approcher sans pouvoir la toucher la réalité des ghettos : identités des détenus des ghettos, quotidien au sein du ghetto [Hájková, 2020 ; Löw, 2024], types de travaux forcés (entreprises allemandes, Organisation Todt, fermes, ateliers de l’armée), mutations des espaces, déplacements de population. Les ghettos se trouvent au cœur d’une guerre d’anéantissement et de colonisation nazie à l’Est, pris en étau entre l’exploitation économique de la main d’œuvre juive et la politique génocidaire. Le colloque se propose de revenir sur des aspects fondamentaux de l’histoire des ghettos, à l’aune des récents travaux historiographiques. Les deux journées s’organiseront en quatre sessions thématiques avec la question de l’espace et de la spatialité en partage. Le premier axe concernera la place des ghettos dans la géographie de la Shoah. Nous interrogerons la fonctionnalité des ghettos en lien avec les autres modes opératoires d’asservissement et d’extermination des populations, ainsi que la nature des espaces utilisés lors de la création des ghettos. Le deuxième portera sur les questions relatives à l’inscription des ghettos dans la géographie physique de la ville, de la campagne, ou, plus largement, de la région (utilisation de structures existantes, détournement d’espaces et de frontières naturelles, rivières, lacs, etc.) Si les deux premiers axes portent sur la relation des ghettos à l’espace extérieur, les deux suivants interrogeront la spatialité interne et la structure sociale. Le troisième axe questionnera la création ou recréation d’espaces de sociabilité en fonction de l’âge, du sexe, ou de critères politiques, économiques, etc. Le quatrième interrogera le rapport de l’espace intime (le corps) à celui du ghetto.

INFORMATION
Langues du colloque : anglais et français

Calendrier

1er octobre 2025 : Envoi des propositions. Ces dernières doivent être composées d’un résumé en 500 mots de votre proposition, ainsi qu’une courte présentation biographique.

Les propositions sont à envoyer à l’adresse mail suivante : symposiumghettos2026@gmail.com

➔ Fin novembre 2025 : date de réponse

Comité d’organisation

Boris CZERNY (Université de Caen, Institut Universitaire de France)
Marie MOUTIER-BITAN (Université de Caen, MRSH, ERLIS)

Pauline ANICET (Université de Caen, MRSH, ERLIS)
Julie MAECK (Mémorial de la Shoah)
Anna ULLRICH (United States Holocaust Memorial Museum)

Gaël EISMANN (Université de Caen, HISTÉMÉ)