Pour une défense de l’enseignement de l’hébreu et des études hébraïques à l’Université

Entretien avec Nicole Abravanel

Liberté du Judaïsme a demandé à Nicole Abravanel, historienne responsable des études hébraïquesà l’Université Picardie Jules Verne, où en est l’enseignement de l’hébreu dans cette université.

Actualité

Pour une défense de l’enseignement de l’hébreu et des études hébraïques à l’Université !

Nous avons demandé à notre amie Nicole Abravanel, historienne responsable des études hébraïques  à l’Université Picardie Jules Verne, où en est l’enseignement de l’hébreu dans cette université.

Marlyse Kalfon (pour L.d.J) : Vous vous êtes collectivement engagés dans une bataille pour la sauvegarde de l’enseignement de l’hébreu à l’université d’Amiens.  Est-il possible de nous en rappeler la genèse ?

Nicole Abravanel : L’hébreu a, tout d’abord, occupé une place au sein des langues dites « orientales ». On ignore le plus souvent que le premier lecteur (enseignant) d’hébreu au collège royal, c’est-à-dire au collège  de France, fut François Vatable, un grammairien chrétien d’origine picarde(1)  L’implantation de l’hébreu moderne, comme ou plutôt son essor, dans l’enseignement supérieur et secondaire, date des années 1970. A Amiens cet enseignement est enraciné de longue date, depuis la fin des années 1980. L’impulsion première revient entièrement à R.-S. Sirat, alors Directeur du département d’hébreu à l’Inalco/Langues O’. Nous l’avons poursuivie en mettant en place en 1998 la préparation d’une licence d’hébreu en convention avec l’université de Lille 3. La particularité d’Amiens a été d’associer obligatoirement l’enseignement de la langue à celui de la civilisation hébraïque et d’être ouvert à tous les étudiants de l’université pour des UE (unités d’enseignements) de découverte. Jusqu’alors, cet enseignement avait été maintenu. Les collègues enseignant la langue se sont succédés et je veux leur rendre hommage ici : Jules Danan, Ziva Avran respectivement maîtres de conférence à l’Inalco et  à Lille 3, Judith Kogel, Létitia Lambert, aujourd’hui inspectrice d’hébreu et… Marta Teitelbaum qui a enseigné 14 ans consécutifs jusqu’à la suppression de sa charge de cours en cette rentrée !

L’enseignement de l’hébreu a été supprimé malgré un nombre honorable d’inscrits et celui de l’arabe, également menacé a été rétabli mais reste fragile malgré nos diverses mobilisations.

M. K : La remise en cause des langues sémitiques a fait l’objet d’une pétition à l’initiative d’une soixantaine d’enseignants. Quel message souhaitiez-vous faire passer à travers cette mobilisation ?

N. A. : La pétition « En défense de l’arabe et de l’hébreu en Picardie » regroupe à ce jour plus de 500 signatures et est toujours en ligne. Ce qui est en cause, c’est l’instauration d’une carte des disciplines dites rares qui aboutit à des regroupements et à des suppressions. C’est pourquoi l’Association des Professeurs de langues vivantes et la Société des Études Juives nous soutiennent. L’argumentation première qui nous a été opposée est le coût financier.
Nous  mettons en balance et en regard le coût de 0,002%  du budget de l’université avec l’apport pédagogique mais aussi civique de tels enseignements. Pour nous, et pour moi, leur diffusion est au cœur de la défense de la démocratie dans ce pays. Mais pour certains de telles disciplines sont  » périphériques » ! Leur défense est particulièrement importante dans le climat politique qui couve en France et en Europe.

M. K. : Tu es aussi engagée dans le soutien à une activité de mémoire  tant auprès du Mémorial de la Shoah qu’à Amiens. Dans le cadre de la préparation de la commémoration du 70ème Anniversaire de la  Rafle d’Amiens du 4 Janvier 1944, tu as également été invitée à intervenir dans le Journal municipal « Amiens mémoire ».

N. A. : Oui. Nous avions déjà organisé une journée d’études avec Lille 3 pour commémorer le 60ème anniversaire de l’ouverture des camps, pour contrer  certains miasmes que nous avions rencontrés dans notre université. Tout récemment s’est tenue une cérémonie de commémoration de la rafle d’Amiens dont il est fait état dans ce journal municipal. Puis-je en citer quelques lignes, une anecdote datant des premières années ?  » C’était il y a vingt ans : une jeune fille se tourna vers son voisin ; elle était en pleurs. J’avais passé quelques morceaux d’une musique judéo-espagnole. Je traduisais les paroles qui venaient de loin. Elle dit ou plutôt entrecoupa ses larmes d’un mot : ma grand-mère me passait de la musique comme ça.

Je lui ai demandé :    –  D’où venait ta grand- mère ?

– D’Allemagne. Elle est venue pendant la guerre, d’Allemagne.

– Sais-tu pourquoi elle a quitté l’Allemagne ?

Un long silence, puis elle m’a montré un livre en hébreu Les étudiants étaient en fait de toutes croyances, de toutes origines.

Ce qui portait et continue à porter cet enseignement, ce fut d’abord la conviction que la mémoire juive, l’expérience juive, pouvait se transmettre, se diffuser au plan universel par-delà tous les murs. Nous avons voulu faire céder les murs et à notre échelle nous y sommes parvenus. Vous comprendrez combien une telle expérience est enrichissante. C’est le contact direct avec une frange de la jeunesse, qui refuse l’antisémitisme et cherche des éléments de compréhension, qui porte ces cours. Ce semestre, j’ai commencé un enseignement sur la Shoah qui associera l’histoire de la communauté d’Amiens et celle de la déportation à Salonique pour laquelle tout récemment je suis intervenue au Mémorial de la Shoah.

1-Sophie Kessler-Mesguich, Les études hébraïques en France, de François Tissard à Richard Simon (1508-1680),  Droz, 2013.